Forward Motion, le mouvement par anticipation

De Bach au be-bop, approche corrective du phrasé jazz

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de Forward Motion, le mouvement par anticipation, de Bach au be-bop, approche corrective du phrasé jazz, par Hal Galper, traduit de l'anglais américain par Marie-France Arnou.

Par HAL GALPER

traduit de l'anglais américain par Marie-France Arnou

La logistique de l'écoute pour l'improvisation en petit groupe

« Écoute, mon garçon, écoute ! Tu n’écoutes pas ! » C’est l’un des conseils qu’on m’a le plus souvent répété et auquel je répondais, frustré : « mais je vous entends ». La plupart des maîtres ne vous disaient pas ce que signifiaient leurs conseils, préférant vous laisser tirer vos propres conclusions. J’ai fini par comprendre qu’il y avait une différence entre entendre et écouter. Entendre, c’est passif. C’est entendre de façon générale, non spécifique, comme quand on écoute un enregistrement et qu’on devient « récepteur » du son. L’écoute est active. Elle est déterminée, concentrée sur certains aspects du son, et fait appel au processus mental de l’« attention sélective ».

La plupart d’entre nous ont vécu la même expérience : nos professeurs nous déconseillaient d’apprendre la musique par cœur et de la jouer à l’oreille.

Je me souviens de ma première professeur de piano, Mrs. Olivier, qui criait de la cuisine : « Harold, tu joues à l’oreille ! Tu ne lis pas la partition ! » Je n’ai jamais su comment elle se rendait compte que je jouais à l’oreille mais je crois que c’est parce que j’interprétais les morceaux, peut-être en jouant avec trop d’émotion.

L’écoute profonde

J’enseignais à mes élèves les techniques de l’écoute profonde depuis de nombreuses années. Ce concept s’était développé alors que je mettais au point une méthode pour que mes élèves prennent davantage conscience du son qu’ils produisaient. Je croyais être le seul à enseigner cette méthode quand j’ai découvert cet article de Pauline Oliveros, créatrice de la technique de l’écoute profonde, qu’elle a appelée Deep Listening. C’était une véritable validation de découvrir que je n’étais pas seul et j’ai depuis adopté ce titre.

« Le Deep Listening, ou écoute profonde, est une pratique que j’ai créée et enseignée pendant de nombreuses années d’exploration et de découverte. Pour moi, le son et la musique sont des sources infinies de fascination et de connexion avec le monde qui m’entoure et qui m’habite. J’entends le son et la musique aussi bien avec mon oreille interne qu’avec mon oreille externe. L’écoute est le cœur de ma profession de musicienne et de compositrice. L’écoute me connecte avec l’esprit vital de l’existence. Les poèmes, les partitions et les écrits de mes élèves me le confirment.

Entendre est un acte physique involontaire qui se produit par l’intermédiaire de notre organe sensoriel primaire lorsque des ondes sonores atteignent l’oreille. Toute personne dotée d’oreilles saines peut entendre. L’écoute se cultive et évolue tout au long de la vie.

Écouter, c’est remarquer, diriger son attention et interpréter ce qu’on entend. L’écoute profonde, c’est l’exploration de la relation qui existe entre tous les sons de toutes sortes. Entendre, c’est passif. On peut entendre sans écouter. C’est l’état dans lequel on est déconnecté, inconscient de son écologie acoustique, inconscient que le battement des ailes d’un papillon a un effet profond à proximité et au fin fond de l’univers. On peut entendre intérieurement des sons tirés de la mémoire ou de l’imagination ou extérieurement des sons provenant de la nature ou de la civilisation. Écouter, c’est prêter activement attention à ce qu’on entend, c’est remarquer et diriger l’interaction et les relations des sons et des modes d’attention. On entend pour écouter. On écoute pour s’interpréter soi-même et son monde et pour y trouver du sens.

Notre monde est fait de vibrations et nous sommes faits de vibrations. La vibration nous connecte avec tous les êtres et nous connecte à toutes choses. Nous nous ouvrons à la vibration afin d’écouter le monde en tant que champ de possibilités et nous écoutons avec une attention particulière des choses précises dans le monde, comme par exemple la musique que nous produisons. Nous interprétons ce que nous entendons selon la façon dont nous écoutons. En accédant à de nombreuses formes d’écoute, nous grandissons et nous évoluons, que nous écoutions les sons de notre quotidien, de l’environnement ou de la musique.

Pour moi, l’écoute profonde se pratique tout au long de la vie. Plus j’écoute, plus j’apprends à écouter. L’écoute profonde nécessite d’aller sous la surface de ce qui est entendu et aussi d’englober l’intégralité du champ sonore, quel que soit l’objet habituel de son attention. Ces formes d’écoute sont essentielles pour pouvoir accéder aux strates successives de l’imagination, du sens et de la mémoire jusqu’au niveau cellulaire de l’expérience humaine. L’écoute est la clé de l’interprétation. Quelle que soit la discipline, les réactions issues de l’écoute profonde sont connectées en résonance avec l’existence et informent l’artiste, l’art et le public en une harmonie qui ne demande aucun effort. Les bébés sont les plus doués pour pratiquer l’écoute profonde. » Pauline Oliveros

Tout juste rentré d’une tournée européenne avec le groupe de Phil Woods, je me suis arrêté pour rendre visite à un ami sur le chemin du retour. L’enregistrement de Jazz in Three-Quarter Time par le Max Roach Quintet était sur son tourne-disque. Quarante ans plus tôt, j’avais passé des heures et des heures à écouter ce disque. Je pensais, à l’époque, en avoir tiré toutes les pépites de sagesse que je pouvais y entendre mais, en l’écoutant encore une fois après tout ce temps, j’ai été frappé par tout ce que je n’avais pas encore entendu. La leçon à retenir, c’est que la façon dont vous écoutez aujourd’hui ne sera pas la façon dont vous écouterez plus tard.

La logistique de l'écoute

L’ethnomusicologue Joseph Jordania a récemment suggéré que « la capacité humaine à se laisser entraîner a[vait] été développée par les forces de la sélection naturelle, jouant un rôle important pour atteindre l’état de conscience modifié spécifique appelé la transe de combat. Atteindre cet état, dans lequel les êtres humains perdent leur individualité, ne ressentent pas la peur et la douleur, sont unis en une identité collective commune et agissent dans les meilleurs intérêts du groupe, était crucial pour la survie physique de nos ancêtres contre les grands prédateurs africains, après que les hominidés ont quitté la sécurité des arbres pour descendre sur le sol dangereux et devenir des êtres terrestres. » (Wikipédia)

« Je crois que ce que je sais faire le mieux, c’est écouter. Non, ne riez pas. C’est difficile d’écouter et je crois que je le fais bien. Si on ne sait pas bien le faire, si on ne peut pas entendre le groupe dans son ensemble, on ne peut pas bien faire son travail. Mon travail, tel que je me le représente, consiste à faire en sorte que chaque partie trouve sa place dans le tout. Vous voyez ce que je veux dire par « écouter » ? Par exemple, ce à quoi je prête la plus grande attention sur scène, c’est la perception de la mesure. Autrement dit, je suis tout le temps en train d’écouter la section rythmique. » Jim Hall, dans une interview accordée à DownBeat en 1962.

Jim Hall clarifie les vérités fondamentales de la pratique collective du jazz :

  • « Écouter »
  • « C’est difficile »
  • « on ne peut pas entendre le groupe dans son ensemble »
  • « faire en sorte que chaque partie trouve sa place dans le tout »
  • « attention »
  • « la perception de la mesure »
  • « tout le temps en train d’écouter la section rythmique. »

    « Commencez toujours par écouter tous les autres, puis vous-même en dernier, et essayez de jouer juste en dessous de tous les autres. » (l’auteur)

    Ce qu'il faut écouter

    Il y a des priorités à respecter dans la façon dont chaque membre du groupe écoute et répond à chacun des autres membres.

    La relation entre la contrebasse et la batterie est l’unité de base dans un groupe de jazz. Sans objectifs communs de soutien rythmique et d’interactivité, il sera difficile, voire impossible, de jouer de façon fluide pour le soliste. Combien de fois avez-vous quitté une session de jam en ayant l’impression de ne pas y être arrivé et avec l’envie de mettre votre instrument à la poubelle et de devenir plombier ? Il convient de rester humble et d’assumer la responsabilité finale de votre jeu mais parfois, ce n’est pas de votre faute, surtout si le batteur et le contrebassiste ne jouent pas ensemble. La première priorité, c’est de s’appliquer à former un lien indéfectible qu’on ne peut ni brouiller ni confondre en écoutant trop attentivement ce que joue le soliste. Ce n’est que lorsque la batterie et la contrebasse forment un lien indéfectible que le contrebassiste et le batteur peuvent commencer à écouter ce que jouent les autres membres du groupe et réagir en conséquence, sans se laisser distraire.

    « Tout le monde suit la caisse claire » est un principe de base. La caisse claire est le cœur du groupe de jazz. Dizzy a déclaré dans une interview dans DownBeat : « Si vous avez du mal à "faire le lien" avec une section rythmique ou un soliste, écoutez la caisse claire et synchronisez-vous avec ses rythmes. »

    Le soliste s’aligne directement sur le batteur pour établir un dialogue rythmique et envoie des signaux harmoniques au pianiste. Le batteur et le soliste consolident une relation rythmique. Il existe un risque que le batteur et le pianiste répondent de façon rythmiquement contradictoire si le pianiste répond directement aux signaux rythmiques du soliste.

    Le batteur se synchronise avec les rythmes du soliste et le pianiste se synchronise avec les rythmes de la caisse claire du batteur, consolidant ainsi deux relations importantes. En répondant aux réponses rythmiques de la caisse claire au soliste, le pianiste sera, par conséquent, rythmiquement synchrone avec le soliste, ce qui produira une réponse unifiée.

    Le pianiste se synchronise avec les signaux harmoniques du soliste. Il existe un risque que le pianiste et le contrebassiste répondent de façon contradictoire aux signaux harmoniques du soliste. Le contrebassiste ne répond pas directement aux signaux harmoniques du soliste mais directement à la réponse harmonique du pianiste au soliste, ce qui produit une réponse harmonique unifiée.

    Le contrebassiste se synchronise directement avec la cymbale ride du batteur et indirectement avec les signaux harmoniques du soliste par l’intermédiaire du pianiste.

    On perçoit les cuivres comme étant associés à la batterie et au piano.

    On perçoit la contrebasse comme étant associée à la batterie et au piano.

    On perçoit le piano comme étant associé à la batterie.

    On perçoit maintenant chaque instrument comme étant associé à un autre selon sa nature et les préoccupations communes aux deux instruments. Ces associations servent à obtenir un effet d’unification des instruments pour qu’ils semblent ne former plus qu’un, ce qui est l’objectif final de l’improvisation collective. Tandis que le soliste du moment est le leader de l’effort collectif, le piano est le sous-leader de la section rythmique, le seul instrument capable de doubler les rôles rythmique, harmonique et mélodique des autres instruments et le mieux à même de « superviser » et, si nécessaire, d’influencer leurs réponses aux signaux rythmiques, mélodiques et harmoniques du soliste. Comme il faut à tout prix éviter la redondance des rôles, le rôle du pianiste en tant que leader de la section rythmique est délicat, l’attitude à adopter étant celle de supposer que « personne n’a besoin de moi ».

    La conscience de la situation

    Naturellement, on se demande comment il est possible de consciemment gérer ces interactions complexes. Il est possible de prêter attention à chaque membre d’un groupe individuellement. Cependant, si on se concentre sur un seul instrument, on a de moins en moins conscience du son des autres instruments. Inversement, si on écoute le son global du quartette, on ne peut pas se concentrer sur chaque instrument individuellement. Dans son livre intitulé Gödel, Escher, Bach, Douglas Hofstadter décrit ce phénomène lors de l’écoute d’un quatuor à cordes de Bach. Le seul état d’esprit qui permet de gérer les complexités de l’improvisation collective est celui où l’on a conscience de la situation.

    Pour ceux d’entre vous qui sont moins scientifiques, essayez cette expérience mentale.

    Combo-drap de soie

    Image : Purple.com

    Imaginez que le « son collectif » d’un combo soit un drap de soie, le soliste, le pianiste, le contrebassiste et le batteur tenant chacun un coin du drap. Il fait beau et il y a juste assez de vent pour faire frémir le drap. L’objectif de l’effort collectif est de maintenir la tension sur le drap qui ondule et flotte. Si la tension est trop forte, le drap se raidit. Si la tension est trop faible, le drap tombe. Chaque membre du groupe est chargé de garder le contrôle sur l’état constamment changeant de son « champ d’influence », en intensifiant ou en relâchant la tension selon les circonstances du moment. Cela exige d’entendre un groupe comme un son global formé de ses constituants plutôt que du son de différentes parties. Si on perçoit le son du groupe sous cette dernière forme, on ne peut pas réussir l’exercice. Si on le perçoit sous la première forme, on entend tous les éléments à la fois et on peut les appréhender en tant que constituants du son global du groupe. La conscience de la situation est indispensable pour pouvoir entendre un groupe comme un son global formé de ses constituants.

    John Boyd, stratège militaire et colonel dans l’US Air Force, a été le premier à codifier la conscience de la situation sous forme de boucle OODA : « observer-orienter-décider-agir ».

    Boucle OOAD

    Patrick Edwin Moran, CC BY 3.0, via Wikimedia Commons

    La combinaison des instruments d’un groupe crée un contexte collectif, une « enveloppe » de son, en quelque sorte. La règle générale veut que l’enveloppe reste lisse et stable. On ne doit rien « remarquer ». Rien ne doit dépasser. Si on remarque quelque chose, si les paramètres du contexte sont violés, on sait que quelque chose ne va pas ou qu’un signal a été émis. Chacun est responsable d’évaluer précisément la situation et de la corriger.

    Un participant à l’une de mes masterclasses de piano m’a demandé comment je parvenais à l’indépendance des mains. J’ai suggéré que si on pensait que jouer du piano consistait à coordonner deux éléments indépendants (les mains), on allait se créer des difficultés au lieu d’en surmonter. Il est plus productif de se représenter le clavier comme une seule chose (le son du piano) divisée, plutôt que comme deux choses combinées. Bien qu’elle soit difficile à saisir pour un esprit occidental, cette représentation de la coordination simplifie les choses. Il va sans dire que l’étudiant n’a pas été satisfait de mon conseil.

    La pulsation

    Un jour, quelqu’un a demandé à Louis Armstrong ce qui était le plus difficile pour un musicien de jazz. Il a répondu : « mettre les notes au bon endroit ». Il est intéressant de relever ce qu’il n’a pas dit. Ce qui comptait pour Armstrong, ce n’était pas de jouer « les bonnes notes » mais c’était l’endroit où placer une note dans le temps. La clarté d’exécution et le placement dans le temps sont deux des piliers du groove.

    Savez-vous où se situe votre centre de pulsation ? Chaque musicien a son propre centre de pulsation, un endroit qui se trouve en haut, au milieu ou en bas du temps, où il se sent rythmiquement le plus à l’aise.

    Le centre de pulsation sur un temps

    Une ligne est constituée d’un nombre infini de points. Entre le haut-milieu-bas du temps, il y a un nombre infini d’endroits où peut se situer le centre de pulsation d’un musicien. Il n’y a pas deux musiciens qui jouent au même endroit du temps, et c’est très bien comme ça. Élément constitutif de son identité rythmique, la fidélité de chaque musicien à son centre de pulsation, son point d’attaque, communique au groupe un sentiment de confiance rythmique, une impression de « C’est bon ! C’est ça, c’est là que tu peux compter me trouver quand je joue. » Dans l’exemple ci-dessous, la batterie joue plus vers le haut du temps, la trompette au-dessus du milieu, le piano et la contrebasse au-dessous du milieu. Le schéma suivant représente quatre temps consécutifs et chaque membre garde sa place sur la pulsation pendant une mesure entière.

    Le centre de pulsation

    L’objectif d’un groupe, c’est d’entretenir un sentiment de confiance rythmique et de fidélité à la pulsation tout pendant qu’il joue. Prenez un instant pour écouter les premiers enregistrements de Miles pour Prestige ou ceux du quartette de Coltrane et écoutez très attentivement. Vous remarquerez que chaque membre du groupe reste à la même place sur la pulsation du début à la fin !

    Paul Desmond a dit : « On n’attaque pas le temps, on y entre », suggérant ainsi que le temps est plus large que le point d’attaque. Une fois votre centre de pulsation établi, vous êtes libre de placer vos notes plus haut ou plus bas par rapport à ce centre. Votre capacité à élargir l’espace dans lequel vous pouvez vous placer sur le temps définit l’ampleur (la largeur) de votre pulsation.

    La syncope et le rythme des second lines

    La syncope est « une turbulence ou une interruption du flux régulier du rythme » : un « placement des accents rythmiques là où ils ne se trouveraient pas normalement ». (Wikipédia)

    La syncope donne vie au jazz. Elle a des propriétés magiques. C’est une création incomparable de l’esprit humain. La syncope est un concept unique qui permet à des individus de participer à une expérience collective tout en conservant chacun leur individualité. Dans la plupart des groupes, c’est soit l’un, soit l’autre : faire partie d’un groupe avec la perte d’individualité qui en découle ou, au contraire, préserver l’individualité de chacun au détriment de l’expérience collective. C’est seulement grâce au concept de la syncope que les deux peuvent coexister.

    La qualité du jeu d’un groupe de jazz est définie par la qualité et le niveau de son dialogue, la perfection avec laquelle ses participants sont capables d’échanger des informations musicales mélodiques, harmoniques et rythmiques entre eux. Pour que l’effort ait la qualité d’une conversation, tous les membres doivent avoir assimilé le vocabulaire de l’improvisation jazz. On ne peut pas avoir une conversation avec quelqu’un si une personne parle en français, une autre en anglais et une autre en espagnol. Ce vocabulaire a la particularité de pouvoir être « personnalisé », ce qui permet à chaque musicien de définir sa propre voix. Des trois composantes de la musique (la mélodie, l’harmonie et le rythme), le développement d’un vocabulaire rythmique « authentique » est fondamental au succès de l’effort collectif.

    L’hémiole et la clave s’associent pour créer les polyrythmes syncopés complexes et imprévisibles incarnés par le rythme des second lines de la Nouvelle-Orléans, que Dizzy qualifiait de « mesure humaine ». La syncope est la colle qui assure la cohésion du groupe, le moyen de base par l’intermédiaire duquel le groupe communique. Les polyrythmes clarifient les interactions individuelles au sein du groupe dans le contexte de ce que jouent rythmiquement les autres membres du groupe.

    Le schéma ci-dessous illustre les interactions entre les rythmes syncopés de chaque musicien. Vous remarquerez que chez chaque musicien, les flux d’informations ont un aspect horizontal. Vous remarquerez par ailleurs que les flux prennent aussi un aspect vertical. C’est peut-être en regardant une partition d’orchestre qu’on peut le mieux visualiser ces aspects. Les portées de chaque instrument se déroulent horizontalement. Lorsque l’on regarde les systèmes de portées de tous les instruments, ils prennent un aspect vertical. La partition de chaque instrument est polyrythmique et polyphonique en elle-même, l’aspect collectif revêtant un caractère polyrythmique et polyphonique visuel.

    La syncope

    On peut combiner les rythmes comme on veut pour créer des syncopes mais ce n’est pas pour autant qu’ils sonneront comme des rythmes jazz. Il existe des façons traditionnelles et historiques de combiner les rythmes incarnés par les second lines de la Nouvelle-Orléans. Les polyrythmes sont constitués de différentes couches. On peut superposer une couche de rythmes syncopés et une pulsation à la noire. La pulsation à la noire qu’on a intériorisée finira alors par se transformer en flux de syncopes intériorisé, qui jouera le rôle de guide à la place des noires.

    Dizzy a dit : « Je me mets des rythmes plein la tête. » Une autre fois, il a déclaré : « Il y en a qui pensent d’abord à une note, puis y ajoutent un rythme ; il y en a qui pensent d’abord au rythme, puis y ajoutent une note » et il est parti en me laissant là sans dire ce que lui avait choisi. Pourtant, dans une interview avec Mike Longo, il a vendu la mèche quand il a dit : « Je pense d’abord à un rythme, puis j’y ajoute une note. » Gagné ! OK. J’ai compris la vérité fondamentale de cette pépite de sagesse mais la déclaration de Dizzy sonnait vaguement comme quelque chose d’invisible dans l’air. Vous trouverez une réponse plus approfondie dans The Zone.

    À suivre...