Hal Galper, grand musicien et grand pédagogue
Tout au long de sa longue carrière, Hal Galper a joué avec des artistes aux styles variés, exigeant de sa part une grande flexibilité. On peut nommer par exemple Johnny Hodges, Roy Eldridge, James Moody, Art Blakey, Donald Byrd et Joe Henderson. Il passe six ans avec son mentor, Sam Rivers, et accompagne Chet Baker au piano pendant trois ans. « Chet m’a beaucoup appris », se souvient Hal, « sur la dynamique, la retenue, l’écoute et comment jouer une ballade, mais on s’est séparé quand j’ai eu envie de jouer quelque chose de plus moderne. Je n’y arrivais pas tout seul à New York et je suis retourné en Nouvelle-Angleterre en 1966. »
Le revoilà à New York en 1967, où il joue entre autres avec le saxophoniste Phil Woods, avec qui il formera plus tard l’une de ses plus importantes collaborations. Désormais établi dans la capitale mondiale du jazz, il enregistre trois albums en tant que leader.
En 1973, il est engagé par Cannonball Adderley, qui cherche un pianiste pour remplacer George Duke, parti rejoindre Frank Zappa. Il s’ensuit trois années où le quintet est presque constamment en tournée. « J’adorais l’intense complicité et l’énergie du groupe mais au bout de trois ans, j’en ai eu assez d’être sur la route. Il était temps de développer ma propre identité musicale. » C’est avec un mélange de regret et d’anticipation qu’il quitte Adderley en 1975.
Ce qui l’incite aussi à partir, c’est son envie de revenir au piano acoustique, l’instrument dont il a joué pendant presque toute sa vie. Pour que sa décision soit bien claire, Hal Galper pousse son Fender Rhodes dans l’Hudson. Il se souvient avoir regardé les bulles monter à la surface alors que l’instrument disparaissait de sa vie, englouti par les eaux du fleuve.
Avec les frères Randy et Michael Brecker, Wayne Dockery et Billy Hart, l’Hal Galper Quintet fait ses débuts au Sweet Basil à New York. Ils enregistrent l’album Reach Out en 1976 pour SteepleChase et Speak With a Single Voice pour Century en 1978. Bob Moses ayant remplacé Billy Hart à la batterie, ils jouent au festival de jazz de Berlin en 1978. Hal Galper décrit le quintet comme « un groupe très contemporain. Chacun jouait avec une liberté absolue. » Mais au bout d’un certain temps, il a envie d’autre chose. Prêt à passer à une musique plus disciplinée, plus mélodique, il met fin au quintet.
Redevenu sideman, Hal Galper part en tournée avec Lee Konitz, Nat Adderley, John Scofield et Slide Hampton puis, en septembre 1979, il fait un remplacement d’une semaine au sein du Phil Woods Quartet au Village Vanguard. Phil Woods l’engage alors et Hal Galper sera par la suite primé en tant que pianiste-compositeur-arrangeur du groupe. « Quelle aventure », se souvient-il, « dix années d’enregistrements et de tournées mondiales à jouer du be-bop acoustique : une expérience comme on a rarement la chance d’en vivre. » La discographie d’Hal Galper inclut 14 albums en tant que membre du groupe de Phil Woods.
Le succès de l’album Portrait, qu’il enregistre avec son propre trio pour Concord, l’encourage à reprendre le rôle de leader. À partir de 1990, il part en tournée six mois par an avec le batteur Steve Ellington et le contrebassiste Jeff Johnson. Il enregistre plusieurs albums avec son trio, collabore avec Jerry Bergonzi et Tim Hagans, et enregistre l’album Maybeck Duets avec Jeff Johnson. Leur complicité musicale est telle qu’on croirait presque qu’ils partagent une perception extra-sensorielle.
« Tout est clair avec le recul », constate Hal Galper. « Quand je pense à tout ce que j’ai joué au fil des années, je vois bien que j’ai toujours eu un penchant pour le "rythme décalé" ou rubato, avec lequel on garde la pulsation mais en jouant des rythmes sous-divisés ou superposés. » Sa maîtrise de cette approche dans le contexte de son trio avec Jeff Johnson et John Bishop produit une musique parmi les plus intrigantes et les plus satisfaisantes du 21e siècle.
Grand musicien, Hal Galper est aussi grand pédagogue. Il est membre fondateur de la New School of Jazz and Contemporary Music, créée à New York en 1986, et professeur émérite au conservatoire de musique de Purchase College. Il présente des masterclasses un peu partout dans le monde et publie des articles pédagogiques dans des revues de jazz. De son propre aveu, ce qu’il vise, c’est « enseigner aux enseignants ». C’est dire à quel point il lui tient à cœur de remonter à la source, de trouver l’origine du savoir. Il attache une grande importance à la transmission de l’héritage des pionniers du jazz, tout en jugeant indispensable de laisser à chaque musicien la liberté de développer son propre style.