Forward Motion, le mouvement par anticipation

De Bach au be-bop, approche corrective du phrasé jazz

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de Forward Motion, le mouvement par anticipation, de Bach au be-bop, approche corrective du phrasé jazz, par Hal Galper, traduit de l'anglais américain par Marie-France Arnou.

Par HAL GALPER

traduit de l'anglais américain par Marie-France Arnou

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Anecdote d'Hal Galper, traduite de l'anglais américain par Marie-France Arnou

L’engagement

Je profite de cette occasion pour répondre à l’article encourageant que David Adler a rédigé à mon sujet dans le premier numéro de JazzTimes, qu’il est en train de ressusciter. Je n’ai encore jamais ressuscité avec personne.

Chers amis, fans, critiques et compagnons de voyage, je ne dirai pas le contraire, j’aime qu’on parle de moi, comme tout le monde, mais rassurez-vous, ne vous inquiétez pas, j’ai eu de la chance. J’ai fait 60 ans d’une carrière gratifiante au cours de laquelle j’ai atteint chacun des objectifs que je m’étais fixés. J’ai une centaine d’enregistrements et deux livres publiés à mon actif, j’ai fait partie du corps enseignant de deux des principales universités du pays et j’ai fini par maîtriser l’instrument et jouer avec les plus grands musiciens du monde.

Je suis un produit du milieu des années 50, de la Beat Generation. J’ai débuté à Berklee en 1955 et je me suis bien fait remarquer pendant les années 60. C’était une décennie palpitante où on vous murmurait toutes sortes de tentations à l’oreille. Ce sont ces deux décennies prises ensemble qui me caractérisent le mieux. Une période d’introspection, à tel point que je suis allé trop loin et que je me suis fait une grosse frayeur. Il était temps de prendre une décision. J’allais finir en haillons, assis au bord d’un chemin de terre en Birmanie, une gamelle à la main, en train de mendier ma pitance. Mon mode de vie est devenu intenable et je me suis écroulé. Je devenais bien trop cool et si je continuais, j’allais me ramasser et devoir quitter la scène !

J’avais pris conscience de bonne heure de mon côté rebelle et je connaissais bien La Bête, à double tranchant, à la fois malédiction et don qui emprisonne et libère en même temps. J’avais déjà vaincu un penchant pour l’alcool mais même si on enferme La Bête dans une boîte, ça ne veut pas dire qu’elle va y rester. Il faut arriver à un compromis, trouver un terrain d’entente avec elle : « Tu peux me foutre en l’air de temps en temps, à condition de me laisser tranquille la plupart du temps. » À l’issue de mon introspection, j’étais convaincu que la vie était un chaos sans aucune signification intrinsèque. Pourtant, ce qui aurait dû être une grosse déception m’a éclairé. Chaque problème comporte sa propre solution, sinon ce ne serait pas un problème. C’est une question de point de vue, de perspective, de position. J’y ai appliqué le judo (L’Art de la guerre), je l’ai retourné pour parvenir à comprendre comment on pouvait simplement investir dans son existence pour lui donner une signification personnelle. Plus on investit dans son existence, plus on est récompensé.

Je ne suis pas en train de prêcher, j’essaie juste de raconter une histoire. Je déteste la philosophie. Les philosophies, c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un. Le seul qui compte, c’est le sien.

Pour faire court et vous épargner une longue histoire personnelle pas très intéressante, je me suis aussi rendu compte que j’avais besoin d’un gouvernail, quelque chose dont je saurais que ça fait partie intégrante de ma personnalité, au point de ne jamais pouvoir changer ou m’être enlevé. Quelque chose à quoi m’accrocher pour me faire dévier de ma trajectoire vers le néant... comme ma passion pour le piano, peut-être ? Bah oui ! Parmi toutes les possibilités autodestructrices, le piano était la moins autodestructrice que je pouvais choisir.

L’engagement que j’ai pris à ce moment-là m’a permis de rester sur le droit chemin. Le piano est mon sauveur. J’ai humblement accepté les contributions que je devrais apporter pour avoir ce privilège alors vous ne m’entendrez pas me plaindre à ce sujet. Ma voie était toute tracée. À vrai dire, si j’avais choisi n’importe quelle autre possibilité qui s’offrait à moi à l’époque, je ne pense pas que j’aurais été capable de faire ce qu’il fallait pour répondre aux exigences de cette autre possibilité. Depuis, le piano est mon roc en toutes circonstances, la fondation sur laquelle je m’appuie et dont dépend ma survie. C’est sur cette base que l’arbre de décision de ma vie s’est enraciné pour toujours. « Est-ce que cela va nuire ou bénéficier à mon jeu au piano ? » : c’est la seule question que j’ai jamais eu besoin de me poser depuis. Simple et efficace !

À la fin, quand j’ai pris ma retraite en 2019, j’avais un sentiment d’accomplissement, je n’avais plus le besoin impérieux, l’envie irrésistible de faire du piano. J’aime toujours ça mais maintenant, j’ai un bouton Off. Une fois, Mayburn et moi, on se lamentait de trouver parfois trop difficile de se forcer à travailler. Son piano était dans sa salle de séjour, à un endroit près duquel il devait passer tous les jours, à longueur de journée. Parfois, dit-il, il devait s’arrêter un instant au piano, regarder les touches, secouer la tête et penser « Nan... » et poursuivre son chemin. Je fais ça moi aussi mais maintenant, ça ne me donne plus mauvaise conscience.

Hourra ! Hourra ! La Bête a quitté la salle.