de Forward Motion, le mouvement par anticipation, de Bach au be-bop, approche corrective du phrasé jazz, par Hal Galper, traduit de l'anglais américain par Marie-France Arnou.
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Anecdote d'Hal Galper, traduite de l'anglais américain par Marie-France Arnou
Quand on est perdu
On était dans la chambre de Booker après le concert, en train de parler de ce qui se passe quand on est perdu. Cannon est entré et s’est lancé dans un discours de maître d’une bonne demi-heure sur le sujet. Je n’avais jamais et je n’ai encore jamais rien entendu de tel.
Tout le monde planait après le concert, y compris Cannon. Je ne prenais pas de notes et tous les autres ont gardé un souvenir aussi vague que le mien de cet incident. Encore aujourd’hui, ça me rend dingue que l’intégralité de son discours soit perdue à tout jamais. Le lendemain, j’ai demandé aux autres de quoi ils se souvenaient mais voici tout ce que nous avons pu en préserver pour la postérité. Il avait une réponse pour chacune des variables, et personne d’autre ne s’en est souvenu après cette soirée.
« Tout le monde peut se perdre », dit-il. « Ce n’est pas ça le problème. Le problème, c’est pendant combien de temps tu es perdu. Le truc, c’est de ne plus être perdu le plus vite possible. C’est le rattrapage qui compte. Si tu es en train de faire un solo et que tu as perdu ton Forward Motion et le groove, il vaut mieux en rester là et que ce soit ton dernier chorus. Arrête de jouer, écoute, reprends dès que tu peux et conclus. N’essaye pas de retrouver le groove, tu n’y arriveras jamais. Termine ton solo proprement et enchaîne. »
Selon Miles, tout constituait un signe.
On ne peut pas résoudre le problème sans d’abord attirer l’attention du membre qui pêche en lui faisant signe. Dans un groupe, n’importe quel instrumentiste peut faire un signe mais c’est plus efficace si deux musiciens peuvent se mettre d’accord. Les deux premiers qui se mettent d’accord ont raison. Ne continue pas à affirmer que tu as raison, n’insiste pas même si c’est vrai. Ne t’agace pas même si on ne réagit pas à ton signe du premier coup. Fais un signe toujours au moins deux fois, toujours au même endroit, pour qu’on ne croie pas qu’il faisait partie de la musique.
Une autre façon de faire un signe consiste à interrompre le contexte.
Chaque morceau a un contexte dans lequel on le joue. On peut attirer l’attention en interrompant le contexte du morceau ou en jouant quelque chose qui n’en fait pas partie. Il faut que ce soit subtil pour que rien ne jure.
Stan Getz avait cette merveilleuse capacité de transmettre un message à n’importe quel instrumentiste de la section rythmique rien qu’avec son saxophone, en s’immisçant dans le domaine d’expertise de cet instrumentiste, là où on n’est pas censé entendre un saxophone !
Le domaine d’expertise du batteur, c’est le rythme. Pour faire comprendre au batteur qu’il voulait qu’il joue un certain rythme d’une certaine façon, il jouait de façon hyper rythmique ou plus rythmique que ce qu’on attendait normalement de Stan (en dehors du contexte). En même temps, il se retournait pour voir si le batteur levait les yeux. Fais ça avec n’importe quel batteur et je te garantis qu’il te regardera en se demandant pourquoi tu te mêles de ses affaires.
Le domaine d’expertise du contrebassiste, c’est sa tessiture. Personne d’autre que le contrebassiste n’est censé jouer si bas. Le sax ténor a une grande tessiture et peut descendre jusqu’aux notes les plus aiguës de la contrebasse, un autre domaine dans lequel on n’est pas censé entendre le saxophone. Il attirait l’attention du contrebassiste en jouant dans le bas de son registre. Le contrebassiste, se demandant « mais qu’est-ce qu’il fait là dans mes affaires ? », levait les yeux pour voir si Stan le regardait.
Le domaine d’expertise du pianiste, c’est l’harmonie. Si Stan voulait faire passer un message harmonique au pianiste, il jouait plus d’arpèges que d’habitude, en épelant les accords avec ses lignes mélodiques pour attirer l’attention du pianiste.
La plupart de ces conseils fonctionnent dans les groupes où tout le monde écoute.